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portes-tu la main? A ta bouche, ou à tes yeux? Quand tu te baignes, où entres-tu? As-tu jamais appelé la marmite une écuelle, ou la cuiller une broche? Si j’étais l’esclave d’un de ces individus, dût-il me faire tous les jours fouetter jusqu’au sang, je le mettrais au supplice. « Enfant, dirait-il, verse de l’huile dans le bain. » J’y verserais de la saumure, et je m’en irais en la lui répandant sur la tête. — « Qu’est-ce que cela? » — « Par ton Génie! il y avait là pour moi une apparence impossible à distinguer d’avec celle de l’huile, tant elle lui ressemblait. — « Donne ici la tisane. » Je lui apporterais un plat plein de saumure vinaigrée. — « Ne t’ai-je pas demandé la tisane? » — « Oui, maître; et c’est là la tisane.» — « Quoi! ce n’est pas là de la saumure vinaigrée? » — « Qu’est-ce, si ce n’est de la tisane? » — « Prends-la, et sens; prends-la, et goûte. » — « Qu’en peux-tu donc savoir, puisque nos sens nous trompent? » Si j’avais trois ou quatre compagnons d’esclavage qui me ressemblassent, je le forcerais à se pendre et à crever, ou bien à changer de système. Mais aujourd’hui ils se moquent de nous: ils usent dans la pratique de tous les dons de la nature, et ils les suppriment dans leurs théories.

O les hommes reconnaissants et pleins de conscience, qui, à tout le moins, mangent chaque jour du pain, et qui osent dire: « Nous ne savons s’il y a une Cérès, une Proserpine, un Pluton! » Je ne veux pas ajouter: « Ils jouissent du jour et de la nuit, du changement des saisons, des astres, de la mer, de la terre, de l’assistance des hommes; et rien de tout cela ne les touche le moins du