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pourquoi es-tu malheureux ? Pourquoi rencontres-tu des obstacles ? Laissons-là le second chapitre, le chapitre du vouloir, et de l’habileté à distinguer notre devoir en ce qui le concerne. Laissons également le troisième chapitre, celui du jugement. Ce sont toutes choses dont je te fais grâce. Tenons-nous-en au premier, qui nous prouve d’une manière presque sensible combien tu appliques mal tes notions à priori. Est-ce qu’aujourd’hui tu ne désires que ce qui est possible, et que ce qui l’est par toi ? Pourquoi donc rencontres-tu des obstacles ? Pourquoi donc es-tu malheureux ? Est-ce qu’aujourd’hui tu ne cherches pas à éviter ce qui est inévitable ? Pourquoi alors te heurter contre certaines choses ? Pourquoi tes échecs ? Pourquoi ce que tu désires n’arrive-t-il pas, tandis que ce que tu ne voudrais pas arrive ? La meilleure preuve, en effet, que l’on est malheureux et misérable, ce sont ces mots: « Je désire quelque chose, et cela ne vient pas. Qu’y a-t-il de plus à plaindre que moi ? »

C’est pour n’avoir pas eu cette force d’âme que Médée en arriva à tuer ses propres enfants. Et en cela, elle ne fut pas d’une trempe ordinaire : elle eut une idée juste de ce que c’est que de ne pas obtenir ce que l’on veut. « Quoi ! dit-elle, je ne punirai pas celui qui m’a fait tant de torts et tant d’outrages ! Mais que gagnerai-je à lui faire ainsi du mal ? Qu’arrivera-t-il ? Je tuerai mes enfants ; je me punirai moi-même ! Et que m’importe ? » C’est là, certes, la chute d’une âme qui a de la vigueur. Mais c’est qu’elle ne savait pas où réside le secret de faire ce que l’on veut, que ce n’est pas une chose à tirer du dehors, en changeant