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Essayons de montrer un peu plus en détail ce que jusqu’ici nous n’avons fait qu’indiquer.

On est accoutumé à se récrier contre l’orgueil des Stoïciens ; c’est l’orgueil qui est le fond de leur doctrine, semble-t-il ; et on se les représente volontiers passant à travers le monde, la tête haute, le dédain à la lèvre, jetant un regard de mépris sur tout ce qui les entoure, foulant aux pieds toutes les joies du vulgaire pour le seul plaisir de se sentir forts, guindés et gourmés jusque dans le bien qu’ils font, et écrasant de leur supériorité jusqu’à ceux-mêmes auxquels ils se dévouent. Cela tient beaucoup, nous le croyons, à ce qu’on a l’habitude de les voir à travers Lucain et Sénèque. Or, Lucain est un poète ampoulé, aussi déclamateur dans son portrait de Caton que dans le reste de son poème ; et Sénèque est un homme de style, que la phrase emporte, qui court après une expression à effet, comme un enfant après un papillon, et qui franchira, sans scrupule, ou plutôt sans s’en apercevoir (tant le plaisir de bien dire lui fait illusion), les limites de ce qu’il pense, pour mettre la main sur un mot brillant. Ce n’est pas chez eux qu’il faut chercher le véritable esprit du Stoïcisme ; il a bien plus de chances de se trouver dans Arrien et dans Marc Aurèle, ces écrivains graves et austères, qui ne se préoccupent guère de bien dire, et qui n’écrivent que ce qu’ils pensent et comme ils le pensent. Or, il nous semble que, si l’on fait d’après