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témoignage de personne autre. Il avait donc le droit de dire : « Je laisse de côté les autres ; je me contente du témoignage de mon interlocuteur ; je ne demande pas l’avis des autres ; il n’y a que celui de mon interlocuteur que je demande. » Il savait, en effet, rendre si claires les conséquences de nos pensées, que le premier venu s’apercevait des contradictions qu’il y avait entre les siennes, et y renonçait. « Est-ce que l’envieux est en joie ? » disait-il. « Non, il souffre plutôt. Le voisinage d’un [1] sort contraire au sien l’a affecté. Mais quoi ! l’envie est-elle un chagrin causé par le malheur (d’autrui ?) Eh ! qui est envieux du malheur ? » C’est ainsi qu’il amenait son interlocuteur à dire que l’envie était un chagrin causé par le bonheur (d’autrui). « Mais quoi ! » (ajoutait-il), « pouvons-nous être envieux de ce qui est sans rapports avec nous ? » C’est ainsi qu’avant de s’éloigner il avait complété et précisé l’idée en question. Il ne disait pas (comme nous) : « Définis-moi l’envie ; » puis, quand on la lui avait définie : « Tu l’as mal définie, parce que ta définition n’est pas convertible dans le défini. » Termes techniques, ennuyeux et inintelligibles pour l’ignorant, et dont nous ne savons pas nous défaire. Nous ne savons pas agir sur l’ignorant, en nous y prenant de telle façon qu’il n’ait qu’à suivre ses propres pensées pour arriver à nous dire oui ou non. Aussi, sentant notre impuissance à cet égard, nous abstenons-nous avec raison de tenter l’affaire, pour peu que nous ayons de bon sens. Mais les étour-

  1. Il y a ici une phrase altérée que j’ai traduite librement, en opposition complète avec M. Thurot et M. Coray.