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d'ailleurs. C’est ainsi que le tisserand ne fait pas sa laine, mais qu’il déploie son talent sur celle qu’on lui a donnée, quelle qu’elle puisse être. C’est un autre qui te donne tes aliments et ta fortune ; il peut te les enlever, aussi bien que ton corps. Ce sont des matériaux que tu reçois ; mets-les en œuvre. Si tu sors d’un combat sans y avoir reçu de mal, les gens ordinaires, en te rencontrant, te féliciteront d’être sain et sauf ; mais ceux qui s’entendent à juger de ces choses-là, ne te complimenteront et ne te féliciteront que s’ils voient que tu t’es conduit avec honneur à la bataille. Ce sera tout le contraire s’ils voient que tu ne t’es sauvé que par une lâcheté. On ne doit s’associer, en effet, qu’aux bonheurs légitimes.

— Comment se fait-il alors qu’on dise des choses du dehors tantôt qu’elles sont conformes à notre nature, tantôt qu’elles lui sont contraires ? — Tu parles, comme si nous étions des êtres isolés. Je puis dire qu’il est conforme à la nature du pied d’être propre ; mais, si tu le prends comme le pied de quelqu’un et non pas comme un tout isolé, voici qu’il lui devient séant de s’enfoncer dans la boue, de marcher sur des épines, parfois même d’être coupé dans l’intérêt du corps entier ; autrement ce ne serait pas le pied de quelqu’un. C’est à peu près ainsi que nous devons raisonner pour nous-mêmes. Qu’est-ce que tu es ? Un homme. Si tu te considères comme un tout isolé, il est dans ta nature de vivre jusqu’à la vieillesse, d’être riche et en bonne santé. Mais, si tu te considères comme un homme et comme une partie d’un tout, il t’est séant, dans l’intérêt de ce tout, d’être tantôt malade, tantôt sur mer,