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Penses-tu en effet que, si Socrate avait voulu sauver ce qui n’était pas lui , il se serait avancé pour dire : « Anytus et Melitus peuvent me tuer, mais ils ne peuvent me faire de tort ? » Était-il assez simple pour ne pas voir que cette route ne l’y conduisait pas ; qu’elle le conduisait ailleurs ? Autrement quel motif aurait-il eu de n’en tenir aucun compte et de les provoquer ?

Ainsi fit mon ami Héraclite, dans un procès qu’il eut à Rhodes au sujet d’un champ. Après avoir démontré à ses juges que sa cause était juste, il leur dit, quand il en fut arrivé à sa péroraison : « Je ne vous prierai pas, et je m’inquiète peu du jugement que vous allez prononcer. C’est vous que l’on juge bien plutôt que moi. » Il gâta ainsi son affaire. Et qu’avait-il besoin de le dire ? Borne-toi à ne pas prier ; et n’ajoute pas : « Je ne vous prie point ; » à moins que tu n’aies comme Socrate quelque motif suffisant de provoquer tes juges. Si tu veux être mis en croix, attends, et la croix viendra ; mais si la raison te détermine à te rendre à la citation du juge et à faire ton possible pour le persuader, il faut être conséquent avec ce premier pas, tout en ne compromettant point ce qui est vraiment à toi.

C’est pour cela aussi qu’il est ridicule de dire : « Conseille-moi. » Que te conseillerais-je, en effet ? Ce que tu devrais dire, c’est ceci : « Fais que mon âme se conforme à tout ce qui lui arrive. » Tu ressembles à un homme qui ne saurait pas écrire, et qui viendrait me dire : « Indique-moi les caractères qu’il faudra que je trace, quand on me donnera un nom à écrire. Si moi je lui disais qu’il doit