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te rengorgeant : « Voilà comme je compose des dialogues ? » Homme, ce n’est pas cela. Voici plutôt ce que tu dois dire : « Voilà comme je ne manque jamais ce que je désire, comme je ne tombe jamais dans ce que je veux éviter. Amène ici la mort, et tu verras ! Amène la souffrance, amène la prison, amène la perte de ma réputation, amène la condamnation ! » Voilà ce dont doit faire montre un jeune homme qui sort de l’école. Laisse le reste à d’autres ; qu’on ne t’en entende jamais parler ; ne permets pas qu’on te vante à son sujet. Crois que tu n’es rien et que tu ne sais rien. Ne montre en toi qu’une seule science, celle de ne pas manquer ce que tu désires, de ne pas tomber dans ce que tu veux éviter. Que d’autres pensent aux procès, aux problêmes, aux syllogismes ; ne pense, toi, qu’à la mort, à la prison, à la torture, à l’exil ; mais penses-y sans trembler, soumis à celui qui t’a appelé à un pareil sort, à celui qui t’a jugé digne d’être placé dans ce poste, pour y montrer ce que peut une âme raisonnable mise en face des forces qui échappent à l’action de notre volonté. Et c’est ainsi que ce paradoxe : « Il faut réunir les précautions et l’assurance, » ne paraîtra plus une chimère ni un paradoxe. Dans ce qui ne relève point de notre libre arbitre, soyons pleins d’assurance ; dans ce qui relève de lui, soyons sur nos gardes.