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Voici qu’on va te trancher la tête ! » — Eh ! quelles idées aurais-je pu me faire qui eussent empêché qu’un plus fort que moi ne m’entraînât, quand il a mis la main sur mon manteau ; et que dix hommes qui me tirent pour me jeter en prison, ne m’y jetassent ? Mais n’y a-t-il pas quelque chose que j’aie appris eu échange ? J’ai appris que tout ce que je vois se produire ne m’est de rien, s’il ne dépend pas de mon libre arbitre. — Et qu’y as-tu gagné pour la circonstance présente ? — Pourquoi chercher le profit de la science ailleurs que dans la science même ?

Ceci répondu, je m’assieds dans ma prison, et je me dis : « Cet homme qui crie ainsi contre moi n’écoute pas ce qu’on veut lui apprendre, et ne comprend pas ce qu’on lui dit. En un mot, il s’inquiète peu de savoir ce que disent ou ce que font les philosophes. Laisse-le. »

Mais voici qu’on me dit : « Sors de prison. » Si vous n’avez plus besoin de moi dans cette prison, j’en partirai. Si vous en avez besoin de nouveau, j’y reviendrai. — Jusques à quand ? — Tant que la raison voudra que je reste uni à mon corps. Quand elle ne le voudra plus, emportez-le, et soyez heureux. Seulement il faut que j’agisse ici avec réflexion, sans faiblesse, et sans me contenter du premier prétexte venu. Car c’est là à son tour une chose que Dieu défend : il a besoin que le monde soit ce qu’il est, que ceux qui vivent sur la terre soient ce qu’ils sont. Mais, s’il nous donne le signal de la retraite, comme à Socrate, il faut obéir à son signal, comme à celui d’un général.

Quoi donc ! faut-il dire tout cela à la multitude ? Et pourquoi le lui dirais-tu ? Ne te suffit-il pas d’y