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de moi, qu’ai-je besoin d’eux ? — « Oui, mais tu seras impie ! » — Eh bien ! en quoi m’en trouverai-je plus mal que maintenant ? La conclusion, c’est qu’il faut se rappeler que, si la piété et l’intérêt ne sont pas d’accord, il ne sera possible à personne d’être pieux. Cela ne te paraît-il pas de toute nécessité ?

Que le Pyrrhonien et l’Académicien viennent me faire des objections. Pour ma part je n’ai pas le loisir de les discuter, et je ne serais pas de force d’ailleurs à défendre contre eux la manière de faire générale. Mais, si j’avais un petit procès au sujet de mon petit champ, irais-je chercher un avocat ? Non. Et de quoi donc me contenterais-je ? Des faits eux-mêmes. Eh bien ! je ne puis peut-être pas rendre compte de la manière dont la sensation se produit, ni dire si elle se produit par tout le corps, ou dans une partie seulement ; car l’une et l’autre opinion m’embarrassent ; mais que toi et moi ne soyons pas le même individu, c’est là une chose que je sais très-bien. Comment cela se fait-il ? Jamais, quand je veux avaler quelque chose, je ne porte le morceau à cet endroit-ci ; mais toujours à celui-là. Jamais non plus, voulant prendre du pain, je n’ai pris un balai, mais toujours je vais droit au pain, comme à mon but. Et vous, qui supprimez en nous les sens, est-ce que vous agissez autrement ? Qui de vous, voulant s’en aller au bain, est allé au moulin ? — Mais quoi ! ne devons-nous pas nous attacher aussi de tout notre pouvoir à préserver la vérité, et à la défendre contre toute attaque ? — Eh ! qui dit le contraire ? Mais que celui-là le fasse qui en a le pouvoir et le loisir. Quant à celui qui