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les apparences trompeuses, aie à ta disposition des notions à priori bien claires et bien nettes.

Ainsi, lorsque la mort te paraît un mal, aie aussitôt à la pensée que, tandis que notre devoir est d’éviter ce qui est mal, la mort est inévitable. Que puis-je faire en effet ? Où puis-je fuir la mort ? J’accorde que je ne suis pas Sarpedon, le fils de Jupiter, pour dire aussi bravement : « J’irai, et je veux me distinguer entre tous, ou donner du moins à un autre l’occasion de se distinguer ; si je ne puis pas réussir moi-même, je ne refuserai pas à un autre l’occasion d’une action d’éclat. » J’accorde qu’un tel langage est au-dessus de mes forces, mais l’autre chose au moins n’est-elle pas en mon pouvoir ? Où fuirai-je, en effet, la mort ? Indiquez-moi le pays ; indiquez-moi le peuple chez qui je pourrai aller, et où elle ne pénétrera pas. Indiquez-moi un charme contre elle. Si je n’en ai pas, que voulez-vous que je fasse ? Mais, si je ne puis pas échapper à la mort, ne puis-je échapper à sa crainte ? Ou me faudra-t-il mourir en gémissant et en tremblant ? Car la cause de tous les troubles de l’âme, c’est le désir de choses qui ne s’accomplissent pas. C’est de là qu’il arrive que, si je puis changer à mon gré les choses extérieures, je les change ; et que, si je ne le puis pas, je voudrais crever les yeux à celui qui m’en empêche. Il est, en effet, dans la nature de l’homme, de ne pouvoir supporter d’être privé de son bien, de ne pouvoir supporter de tomber dans le malheur. Puis finalement, quand je ne puis ni changer les choses, ni crever les yeux à qui m’empêche de le faire, je m’assieds en pleurant, et j’injurie qui je puis, Jupiter et les autres dieux, car, s’ils ne s’occupent pas