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il jour maintenant ? » — Non, car j’ai accepté l’hypothèse qu’il faisait nuit. — « Supposons que tu croies qu’il est nuit. » — Je le suppose. — « Ce n’est pas assez : crois en réalité qu’il est nuit. » — Cela ne résulte pas de l’hypothèse. De même dans les choses de la vie. « Supposons que tu es malheureux. » — Je le suppose. — « Ainsi tu es infortuné ? » — Oui. — « Ainsi tu es maltraité par le sort ? » — Oui. — « Ce n’est pas assez : crois que tu es réellement dans le malheur. » — Cela ne résulte pas de l’hypothèse ; et il y a quelqu’un qui m’en empêche.

Jusqu’où donc faut-il se prêter à tout cela ? — Tant qu’il est utile de le faire, c’est-à-dire tant qu’on y sauvegarde sa dignité et les convenances. Il y a des gens sans indulgence et sans complaisance qui disent : « Je ne puis pas aller dîner chez un tel, pour supporter tous les jours le récit de ses campagnes en Mysie ; pour l’entendre me dire : Je t’ai raconté, mon cher, comment j’emportai cette hauteur ; ce fut alors moi qui commençai à être assiégé. » D’autres disent, au contraire : « J’aime mieux dîner, et entendre tout ce qu’il lui plaira de débiter. » Toi, choisis entre ces manières de voir : seulement ne fais rien avec ennui ; ne te chagrine jamais, et ne te crois jamais dans le malheur, car personne ne peut t’y mettre de force. Fume-t-il dans la maison ? Si modérément, je resterai ; si beaucoup trop, je pars. Car il y a une chose qu’il faut toujours se rappeler, toujours garder dans sa pensée, c’est que la porte nous est ouverte. On me dit : « N’habite pas à Nicopolis ; » je n’y habite pas. « N’habite pas à Athènes ; » je n’habite