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Comment craindrais-je celui à qui je puis jeter mon corps ? »

« Un tel, d’autre part, ne me fera pas son héritier ! Mais quoi ! ai-je oublié qu’aucune de ces choses n’était à moi ? » De quelle façon disons-nous donc qu’elles sont à nous ? comme nous le disons d’un lit dans une auberge. Si l’hôtelier en mourant te laisse ses lits, ils seront à toi ; s’il les laisse à un autre, ils seront à cet autre, et tu chercheras ailleurs. Si tu n’en trouves pas, tu dormiras par terre, mais tu y dormiras le cœur tranquille, et jusqu’à ronfler, parce que tu te rappelleras que c’est chez les riches, chez les rois, chez les tyrans, qu’il y a place pour la tragédie ; tandis que les pauvres ne jouent jamais de rôle dans les tragédies, si ce n’est comme choristes. Les rois débutent par des prospérités : « Décorez ces maisons, » disent-ils ; mais au troisième ou au quatrième acte : « Ô Cithéron, pourquoi m’as-tu reçu ? » Esclave, que sont donc devenues tes couronnes ? Qu’est devenu ton diadême ? Tes gardes ne te servent de rien.

Lors donc que tu abordes un de ces hommes, rappelle-toi que tu te trouves en face d’un personnage de tragédie, et non pas de l’histrion, mais d’Œdipe lui-même.

« Un tel, dis-tu, est bien heureux, car il a nombreuse compagnie quand il se promène ! » — Eh bien ! je n’ai qu’à me mêler à la foule, et moi aussi je me promènerai en nombreuse compagnie.

Mais, voici l’essentiel : souviens-toi que la porte t’est toujours ouverte. N’aie pas moins de cœur que les enfants ; quand un jeu cesse de leur plaire, ils disent : « Je ne jouerai plus. » Eh bien ! toi aussi,