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lira nécessairement, s’il est sans culture. Tout d’abord le tyran dit : « Je suis plus puissant que tous les autres. » — Eh ! que peux-tu me donner ? Peux-tu faire que mes désirs ne trouvent point d’obstacles ? Comment le pourrais-tu ? Toi-même réussis-tu toujours à éviter ce que tu veux fuir ? Es-tu infaillible dans tout ce que tu essaies de faire ? Et d’où te viendrait cet avantage ? Sur un navire, en qui as-tu confiance, en toi ou dans les hommes du métier ? En qui sur un char, si ce n’est encore dans les hommes du métier ? Et quand il s’agit de tout autre art ? même chose. Que peux-tu donc par toi-même ? — « Quels soins tout le monde a de moi (dis-tu) ? » — J’ai bien soin de ma planchette, moi ! Je la lave et je l’essuie ; j’enfonce aussi des clous pour accrocher ma burette à huile. Ma planchette et ma burette seraient-elles donc supérieures à moi ? Non ; mais elles me servent pour quelque usage, et c’est pour cela que j’en prends soin. Est-ce que je ne prends pas soin de mon âne ? Est-ce que je ne lui lave pas et ne lui nettoie pas les pieds ? Ne vois-tu donc pas que c’est de lui-même que tout homme a soin, et qu’on n’a des soins pour toi que comme on en a pour son âne ? Qui donc en effet a des soins pour toi à titre d’homme ? Montre-moi celui-là. Qu’est-ce qui veut te ressembler ? Qu’est-ce qui veut marcher sur tes traces comme sur celles de Socrate ? — « Mais je puis te faire couper la tête ! » — Tu as raison ; j’oubliais qu’il me fallait des soins vis-à-vis de toi comme vis-à-vis de la fièvre et du choléra ; et que je devais t’élever un autel comme il y a dans Rome un autel élevé à la fièvre.