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LES ANNALES ROMANTIQUES

Byron. Don Juan ne faisait pas de poèmes, et Byron faisait, dit-on, bien mal l’amour. Il a dû avoir quelquefois — on peut compter ces émotions-là dans la vie — l’extase complète par le cœur. l’esprit et les sens ; il en a connu assez pour être un des poètes de l’amour. Il n’en faut pas davantage aux instruments de notre vibration. Le vent continuel des petits appétits les briserait.

« Essayez quelque jour de faire un roman dont l’artiste (le vrai) sera le héros, vous verrez quelle sève énorme, mais délicate et contenue ; comme il verra toute chose d’un œil attentif, envieux et tranquille, et comme ses entraînements vers les choses qu’il examine et pénètre seront rares et sérieux, vous verrez aussi conmme il se craint lui-même, comme il sait qu’il ne peut se livrer sans s’anéantir, et comme une profonde pudeur des trésors de son âme l’empêche de les répandre et de les gaspiller. L’artiste est un si beau type à faire, que je n’ai jamais osé le faire réellement ; je ne me sentais pas digne de toucher à cette figure belle et trop compliquée, c’est viser trop haut pour une simple femme. Mais ça pourra bien vous tenter quelque jour et ça vaudra la peine.

« Où est le modèle ? Je ne sais pas, je n’en ai pas connu à fond qui n’eût quelque tache au soleil, je veux dire quelque côté par où cet artiste touchait à l’épicier. Vous n’avez peut-être pas cette tache, vous devriez vous peindre. Moi. je l’ai, J’aime les classifications, je touche au pédagogue. J’aime à coudre et à torcher les enfants, je touche à la servante. J’ai des distractions et je touche à l’idiot. Et puis enfin, je n’aimerais pas la perfection ; je la sens et ne saurais la manifester. Mais on pourrait bien lui donner des défauts dans sa nature. Quels ? nous chercherons ça quelques jour. Ce n’est pas dans votre sujet actuel et je ne dois pas vous en distraire.

« Ayez moins de cruauté envers vous. Allez de l’avant et, quand le souffle aura tout produit, vous remonterez le ton général et sacrifierez tout ce qui ne doit pas venir au premier plan. Est-ce que ça ne se peut pas ? Il me semble que si. Ce que vous faites paraît si facile, si abondant ! c’est un trop plein perpétuel, je ne comprends rien à votre angoisse. »

Ce volume si intéressant pour l’histoire des idées de Flaubert, nous apprend que pour son Saint-Antoine, il avait dévoré les mémoires ecclésiastiques de Le Nain de Tillemont. Voilà une source bonne à connaître.