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précaution inutile

ritait non plus que je parlasse, mais que je ne dise rien. « Mais voyons, c’est libre, depuis le temps que vous êtes en communication ; je vais vous couper. » Mais elle n’en fit rien et tout en suscitant la présence d’Andrée, l’enveloppa, en grand poète qu’est toujours une demoiselle du téléphone, de l’atmosphère particulière à la demeure, au quartier, à la vie même de l’amie d’Albertine.

« — C’est vous ? », me dit Andrée dont la voix était projetée jusqu’à moi avec une vitesse instantanée par la déesse qui a le privilège de rendre les sons plus rapides que l’éclair.

« — Écoutez, répondis-je ; allez où vous voudrez, n’importe où, excepté chez Mme Verdurin. Il faut à tout prix en éloigner demain Albertine. »

« — C’est que justement elle doit y aller demain. »

« — Ah ! »

Mais j’étais obligé d’interrompre un instant et de faire des gestes menaçants car si Françoise continuait — comme si c’eût été quelque chose d’aussi désagréable que la vaccine ou d’aussi périlleux que l’aéroplane — à ne pas vouloir apprendre à téléphoner, ce qui nous eût déchargés des communications qu’elle pouvait connaître sans inconvénient, en revanche, elle entrait immédiatement chez moi dès que j’étais en train d’en faire d’assez secrètes pour que je tinsse particulièrement à les lui cacher. Quand elle fut sortie de la chambre non sans s’être attardée à emporter divers objets qui y étaient depuis la veille et eussent pu y rester sans gêner le moins du monde une heure de plus, et pour remettre dans le feu une bûche bien inutile par la chaleur brûlante que me donnait la présence de l’intruse et par la peur de me voir « couper » par la demoiselle :