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précaution inutile

confitures parce qu’à Combray, il s’était souvent attardé comme une guêpe sur notre table desservie). Par ce jour de soleil éclatant, rester tout le jour les yeux clos, c’était chose permise, usitée, salubre, plaisante, saisonnière, comme tenir ses persiennes fermées contre la chaleur.

C’était par de tels temps qu’au début de mon second séjour à Balbec, j’entendais les violons de l’orchestre entre les coulées bleuâtres de la marée montante. Combien je possédais plus Albertine aujourd’hui. Il y avait des jours où le bruit d’une cloche qui sonnait l’heure, portait sur la sphère de sa sonorité une plaque si fraîche, si puissamment étalée de mouillé ou de lumière, que c’était comme une traduction pour aveugles, ou si l’on veut, comme une traduction musicale du charme de la pluie ou du charme du soleil. Si bien qu’à ce moment-là, les yeux fermés, dans mon lit, je me disais que tout peut se transposer et qu’un univers seulement audible pourrait être aussi varié que l’autre. Remontant paresseusement de jour en jour, comme sur une barque et voyant apparaître devant moi toujours de nouveaux souvenirs enchantés, que je ne choisissais pas, qui, l’instant d’avant, m’étaient invisibles et que ma mémoire me présentait l’un après l’autre, sans que je puisse les choisir, je poursuivais paresseusement, sur ces espaces unis, ma promenade au soleil.

Ces concerts matinaux de Balbec n’étaient pas anciens. Et pourtant, à ce moment relativement rapproché, je me souciais peu d’Albertine. Même les tout premiers jours de l’arrivée, je n’avais pas connu sa présence à Balbec. Par qui donc l’avais-je apprise ? Ah ! oui, par Aimé. Il faisait un beau soleil comme celui-ci. Il était content de me revoir. Mais il n’aime pas Albertine. Tout le monde ne peut pas l’aimer. Oui, c’est lui qui m’a annoncé qu’elle était à Balbec. Com-