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précaution inutile

retraite où je me séquestrais jusqu’à ne plus aller au théâtre, qu’elle avait pour origine l’anxiété d’un soir et le besoin de me prouver à moi-même les jours qui la suivraient que celle dont j’avais appris la fâcheuse enfance, n’aurait pas la possibilité, si elle l’avait voulu, de s’exposer aux mêmes tentations. Je ne songeais plus qu’assez rarement à ces possibilités, mais elles devaient pourtant rester vaguement présentes à ma conscience. Le fait de les détruire — ou d’y tâcher — jour par jour, était sans doute la cause pourquoi il m’était doux d’embrasser ces joues qui n’étaient pas plus belles que bien d’autres ; sous toute douceur charnelle un peu profonde, il y a la permanence d’un danger.

J’avais promis à Albertine que si je ne sortais pas, je me mettrais au travail, mais le lendemain, comme si, profitant de nos sommeils, la maison avait miraculeusement voyagé, je m’éveillais par un temps différent sous un autre climat. On ne travaille pas au moment où on débarque dans un pays nouveau aux conditions duquel il faut s’adapter. Or, chaque jour était pour moi un pays différent. Ma paresse elle-même, sous les formes nouvelles qu’elle revêtait, comment l’eussé-je reconnue ?

Tantôt par des jours irrémédiablement mauvais, disait-on, rien que la résidence dans la maison, située au milieu d’une pluie égale et continue, avait la glissante douceur, le silence cal-