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précaution inutile

seringas venus du Midi. Quand ayant quitté la duchesse je remontai chez moi, Albertine était rentrée, je croisai dans l’escalier Andrée que l’odeur si violente des fleurs que je rapportais sembla incommoder.

« — Comment, vous êtes déjà rentrées, lui dis-je. »

« — Il n’y a qu’un instant, mais Albertine avait à écrire, elle m’a renvoyée. »

« — Vous ne pensez pas qu’elle ait quelque projet blâmable ? »

« — Nullement, elle écrit à sa tante je crois, mais elle qui n’aime pas les odeurs fortes ne sera pas enchantée de vos seringas. »

« — Alors, j’ai eu une mauvaise idée ! Je vais dire à Françoise de les mettre sur le carré de l’escalier de service. »

« — Si vous vous imaginez qu’Albertine ne sentira pas après vous l’odeur de seringa. Avec l’odeur de la tubéreuse, c’est peut-être la plus entêtante ; d’ailleurs je crois que Françoise est allée faire une course. »

« — Mais alors moi qui n’ai pas aujourd’hui ma clef, comment pourrai-je rentrer ? »

« — Oh ! vous n’aurez qu’à sonner, Albertine vous ouvrira. Et puis Françoise sera peut-être remontée dans l’intervalle. »

Je dis adieu à Andrée. Dès mon premier coup Albertine vint m’ouvrir, ce qui fut assez compliqué, car Françoise étant descendue, Albertine ne savait pas où allumer. Enfin elle put me faire entrer, mais les fleurs de seringas la mirent en fuite. Je les posai dans la cuisine, de sorte qu’interrompant sa lettre, je ne compris pas pourquoi, mon amie eut le temps d’aller dans ma chambre d’où elle m’appela et de s’étendre sur mon lit. Encore une fois, au moment même, je ne trouvai à tout cela rien que de très naturel, tout au plus d’un peu confus, en tout cas d’insi-