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précaution inutile

j’étais vivifié, fût-ce pour quelques instants, par les exaltantes vertus de la solitude.

Je prenais ma part des plaisirs de la journée commençante ; le désir arbitraire — la velléité capricieuse et purement mienne — de les goûter, n’eût pas suffi à les mettre à portée de moi si le temps spécial qu’il faisait ne m’en avait non pas seulement évoqué les images passées, mais affirmé la réalité actuelle, immédiatement accessible à tous les hommes qu’une circonstance contingente et par conséquent négligeable ne forçait pas à rester chez eux. Certains beaux jours, il faisait si froid, on était en si large communication avec la rue qu’il semblait qu’on eût disjoint les murs de la maison et, chaque fois que passait le tramway, son timbre résonnait, comme eût fait un couteau d’argent frappant une maison de verre. Mais c’était surtout en moi que j’entendais, avec ivresse, un son nouveau rendu par le violon intérieur. Ses cordes sont serrées ou détendues par de simples différences de la température, de la lumière extérieures. En notre être, instrument que l’uniformité de l’habitude a rendu silencieux, le chant naît de ces écarts, de ces variations, source de toute musique : le temps qu’il fait certains jours nous fait aussitôt passer d’une note à une autre. Nous retrouvons l’air oublié, dont nous aurions pu deviner la nécessité mathématique et que pendant les premiers instants nous chantons sans le connaître. Seules, ces modifications internes, bien que venues du dehors, renouvelaient pour moi le monde extérieur. Des portes de communication, depuis longtemps condamnées, se rouvraient dans mon cerveau. La vie de certaines villes, la gaîté de certaines promenades reprenaient en moi leur place. Frémissant tout entier autour de la corde vibrante, j’aurais sacrifié ma terne vie d’autrefois et ma vie à venir,