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précaution inutile

tous les autres. Peut-être parce que nous ne l’aurions fait que pour nous débarrasser d’un chagrin, d’une anxiété qui sont apaisés maintenant. Nous avons réussi à traverser le cerceau de toile à travers lequel nous avons cru un moment que nous ne pourrions jamais passer. Nous avons éclairci l’orage, ramené la sérénité du sourire, Le mystère angoissant d’une haine sans cause connue et peut-être sans fin est dissipé. Dès lors, nous nous retrouvons face à face avec le problème momentanément écarté d’un bonheur que nous savons impossible.

Maintenant que la vie avec Albertine était redevenue possible, je sentais que je ne pourrais en tirer que des malheurs puisqu’elle ne m’aimait pas, mieux valait la quitter sur la douceur de son consentement que je prolongerais par le souvenir. Oui, c’était le moment, il fallait m’informer bien exactement de la date où Andrée allait quitter Paris, agir énergiquement auprès de Mme Bontemps de manière à être bien certain qu’à ce moment-là Albertine ne pourrait aller ni en Hollande, ni à Montjouvain. Il arriverait, si nous savions mieux analyser nos amours, de voir que souvent les femmes ne nous plaisent qu’à cause du contrepoids d’hommes à qui nous avons à les disputer, bien que nous souffrions jusqu’à mourir d’avoir à les leur disputer ; le contrepoids supprimé, le charme de la femme tombe. On en voit un exemple douloureux et préventif dans cette prédilection des hommes pour les femmes qui avant de les connaître ont commis des fautes, pour ces femmes qu’ils sentent enlisées dans le danger et qu’il leur faut, pendant toute la durée de leur amour, reconquérir, de l’exemple postérieur au contraire et nullement dramatique celui-là de l’homme qui, sentant s’affaiblir son goût pour la femme qu’il aime, applique spontanément les règles qu’il a