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précaution inutile

instant dès qu’il ne veut pas répondre à une question, et il ne lui fait jamais défaut.

« — Ah ! je ne sais pas (avec regret de ne pouvoir me renseigner), je n’ai jamais su son nom, je la voyais au golf, mais je ne savais pas comment elle s’appelait. »

Si un mois après je lui disais :

« — Albertine, tu sais cette jolie fille dont tu m’as parlé, qui jouait si bien au golf. »

« — Ah ! oui, me répondait-elle sans réflexion, Émilie Daltier, je ne sais ce qu’elle est devenue. »

Et le mensonge, comme une fortification de campagne, était reporté de la défense du nom pris maintenant, sur la possibilité de la retrouver.

« — Eh ! je ne sais pas, je n’ai jamais su son adresse. Je ne vois personne qui pourrait vous dire cela. Oh ! non, Andrée ne l’a pas connue. Elle n’était pas de notre petite bande, aujourd’hui si divisée. »

D’autres fois le mensonge était comme un vilain aveu :

« — Ah ! si j’avais trois cent mille francs de rente… »

Elle se mordait les lèvres.

« — Hé bien, que ferais-tu ? »

« — Je te demanderais, disait-elle en m’embrassant, la permission de rester chez toi. Où pourrais-je être plus heureuse ? »

Mais même en tenant compte des mensonges, il était incroyable à quel point sa vie était successive, et fugitifs ses plus grands désirs. Elle était folle d’une personne et au bout de trois jours n’eût pas voulu recevoir sa visite. Elle ne pouvait pas attendre une heure que je lui eusse fait acheter des toiles et des couleurs, car elle voulait se remettre à la peinture. Pendant deux jours elle s’impatientait, avait presque des larmes vite séchées d’enfant à qui on a ôté sa nourrice. Et cette instabilité de ses sentiments à l’égard