Page:Les Œuvres libres, numéro 20, 1923.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
précaution inutile

Andrée, était restée dans sa chambre, à lire, dans un peignoir de Fortuny. Je lui demandai si elle voulait venir à Versailles. Elle avait cela de charmant qu’elle était toujours prête à tout, peut-être par cette habitude qu’elle avait autrefois de vivre la moitié du temps chez les autres, et comme elle s’était décidée à venir avec nous à Paris, en deux minutes. Elle me dit :

« — Je peux venir comme cela, nous ne descendons pas de voiture. »

Elle hésita une seconde entre deux manteaux de Fortuny pour cacher sa robe de chambre — comme elle eût fait entre deux amis différents à emmener — en prit un bleu sombre, admirable, piqua une épingle dans un chapeau. En une minute, elle fut prête avant que j’eusse pris mon paletot et nous allâmes à Versailles. Cette rapidité même, cette docilité absolue me laissèrent plus rassuré, comme si en effet j’eusse eu, sans avoir aucun motif précis d’inquiétude, besoin de l’être. « Tout de même je n’ai rien à craindre, elle fait ce que je lui demande, malgré le bruit de la fenêtre de l’autre nuit. Dès que j’ai parlé de sortir, elle a jeté ce manteau bleu sur son peignoir et elle est venue, ce n’est pas ce que ferait une révoltée, une personne qui ne serait plus bien avec moi », me disais-je, tandis que nous allions à Versailles.

Nous y restâmes longtemps. Le ciel tout entier fait de ce bleu radieux et un peu pâle comme le promeneur couché dans un champ le voit parfois au-dessus de sa tête, mais tellement uni, tellement profond, qu’on sent que le bleu dont il est fait a été employé sans aucun alliage et avec une si inépuisable richesse qu’on pourrait approfondir de plus en plus sa substance, sans rencontrer un atome d’autre chose que de ce même bleu. Je pensais à ma grand’mère qui aimait tant