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précaution inutile

çoise. Et, en même temps, je pensai : « Je vais parler à Albertine d’un yacht que je veux lui faire faire. » En prenant mes lettres, je dis à Françoise sans la regarder :

« — Tout à l’heure, j’aurai quelque chose à dire à Mlle Albertine ; est-ce qu’elle est levée ? »

« — Oui, elle s’est levée de bonne heure. »

Je sentis se soulever en moi, comme dans un coup de vent, mille inquiétudes, que je ne savais pas tenir en suspens dans ma poitrine. Le tumulte y était si grand que j’étais à bout de souffle comme dans une tempête.

« — Ah ! mais où est-elle en ce moment ? »

« — Elle doit être dans sa chambre. »

« — Ah ! bien, eh ! bien, je la verrai, tout à l’heure. »

Je respirai, elle était là, mon agitation retomba, Albertine était ici, il m’était presque indifférent qu’elle y fût. D’ailleurs, n’avais-je pas été absurde de supposer qu’elle aurait pu ne pas y être. Je m’endormis, mais, malgré ma certitude qu’elle ne me quitterait pas, d’un sommeil léger et d’une légèreté relative, à elle seulement. Car les bruits qui ne pouvaient se rapporter qu’à des travaux dans la cour, tout en les entendant vaguement en dormant, je restais tranquille, tandis que le plus léger frémissement qui venait de sa chambre, quand elle sortait, ou rentrait sans bruit en appuyant si doucement sur le timbre, me faisait tressauter, me parcourait tout entier, me laissait le cœur battant, bien que je l’eusse entendue dans un assoupissement profond, de même que ma grand’mère dans les derniers jours qui précédèrent sa mort et où elle était plongée dans une immobilité que rien ne troublait et que les médecins appelaient le coma, se mettait, m’a-t-on dit, à trembler un instant comme une feuille quand elle entendait les trois coups de sonnette, par lesquels j’avais l’habitude d’appeler Fran-