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précaution inutile

c’était une convention de notre vie commune, comme je craignais les courants d’air, qu’on n’ouvrît jamais la fenêtre la nuit. On l’avait expliqué à Albertine quand elle était venue habiter à la maison et bien qu’elle fût persuadée que c’était de ma part une manie et malsaine, elle m’avait promis de ne jamais enfreindre cette défense. Et elle était si craintive pour toutes ces choses qu’elle savait que je voulais, les blâmait-elle, que je savais qu’elle eût plutôt dormi dans l’odeur d’un feu de cheminée que d’ouvrir sa fenêtre, de même que pour l’événement le plus important elle ne m’eût pas fait réveiller le matin.

Ce n’était qu’une des petites conventions de notre vie, mais du moment qu’elle violait celle-là sans m’en avoir parlé, cela ne voulait-il pas dire qu’elle n’avait plus rien à ménager, qu’elle les violerait aussi bien toutes. Puis ce bruit avait été violent, presque mal élevé, comme si elle avait ouvert rouge de colère et disant : « Cette vie m’étouffe, tant pis, il me faut de l’air ! » Je ne me dis pas exactement tout cela, mais je continuai à penser comme à un présage plus mystérieux et plus funèbre qu’un cri de chouette à ce bruit de la fenêtre qu’Albertine avait ouverte. Plein d’une agitation comme je n’en avais peut-être pas eue depuis le soir de Combray où Swann avait dîné à la maison, je marchai toute la nuit dans le couloir, espérant par le bruit que je faisais attirer l’attention d’Albertine, qu’elle aurait pitié de moi et m’appellerait, mais je n’entendais aucun bruit venir de sa chambre.

Peu à peu, je sentis qu’il était trop tard. Elle devait dormir depuis longtemps. Je retournai me coucher. Le lendemain, dès que je m’éveillai, comme on ne venait jamais chez moi quoi qu’il arrivât sans que j’eusse appelé, je sonnai Fran-