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précaution inutile

« — Je peux rester tant que vous voudrez, je n’ai pas sommeil. »

Sa réponse me calma, car tant qu’elle était là, je sentais que je pouvais aviser à l’avenir et elle recélait aussi de l’amitié, de l’obéissance, d’une certaine nature, et qui me semblait avoir pour limite ce secret que je sentais derrière son regard triste, ses manières changées, moitié malgré elle, moitié sans doute pour les mettre d’avance en harmonie avec quelque chose que je ne savais pas. Il me sembla que tout de même, il n’y aurait que de l’avoir tout en blanc, avec son cou nu, devant moi, comme je l’avais vue à Balbec dans son lit, qui me donnerait assez d’audace pour qu’elle fût obligée de céder.

« — Puisque vous êtes si gentille que de rester un peu à me consoler, vous devriez enlever votre robe, c’est trop chaud, trop raide, je n’ose pas vous approcher pour ne pas froisser cette belle étoffe et il y a entre nous ces oiseaux fatidiques. Déshabillez-vous, mon chéri. »

« — Non, ce ne serait pas commode de défaire ici cette robe. Je me déshabillerai dans ma chambre tout à l’heure. »

« — Alors vous ne voulez même pas vous asseoir sur mon lit ? »

« — Mais si. »

Mais elle resta un peu loin, près de mes pieds. Nous causâmes.

Quand je vis que d’elle-même elle ne m’embrassait pas, comprenant que tout ceci était du temps perdu, que ce ne serait qu’à partir du baiser que commenceraient les minutes calmantes et véritables, je lui dis : « Bonsoir, il est trop tard » ; parce que cela ferait qu’elle m’embrasserait, et nous continuerions ensuite. Mais après m’avoir dit : « Bonsoir, tâchez de bien dormir », exactement comme les deux premières fois, elle se contenta d’un baiser sur la joue,