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précaution inutile

d’innocence que sans m’en rendre compte, j’étais prêt à croire, elle me fit moins de mal que sa sincérité quand lui ayant demandé :

« — Pouvez-vous du moins me jurer que le plaisir de revoir Mlle Vinteuil n’entrait pour rien dans votre désir d’aller à cette matinée des Verdurin. »

Elle me répondit :

« — Non, cela, je ne peux pas le jurer. Cela me faisait un grand plaisir de revoir Mlle Vinteuil. »

Une seconde avant, je lui en voulais de dissimuler ses relations avec Mlle Vinteuil, et, maintenant, l’aveu du plaisir qu’elle aurait eu à la voir me cassait bras et jambes. Sans doute, quand Albertine m’avait dit quand j’étais rentré de chez les Verdurin :

« — Est-ce qu’ils ne devaient pas avoir Mlle Vinteuil ? »

Elle m’avait rendu toute ma souffrance en me prouvant qu’elle savait sa venue. Mais je m’étais sans doute fait depuis ce raisonnement :

« Elle savait sa venue qui ne lui faisait aucune espèce de plaisir, mais comme elle a dû comprendre après coup que c’est la révélation qu’elle connaissait une personne d’aussi mauvaise réputation que Mlle Vinteuil, qui m’avait tant désespéré à Balbec, jusqu’à me donner l’idée de suicide, elle n’a pas voulu m’en parler. Et puis, voilà qu’elle était obligée de m’avouer que cette venue lui faisait plaisir. D’ailleurs, sa façon mystérieuse de vouloir aller chez les Verdurin eût dû m’être une preuve suffisante. Mais, je n’y avais plus pensé. Quoique me disant maintenant la vérité pourquoi n’avoue-t-elle qu’à moitié, c’est encore plus bête que méchant et que triste. »

J’étais tellement écrasé que je n’eus pas le courage d’insister là-dessus, où je n’avais pas