Page:Les Œuvres libres, numéro 20, 1923.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
précaution inutile

« — Tu rêves, je ne suis pas Andrée », lui dis-je en riant.

Elle sourit aussi :

« — Mais non, je voulais te demander ce que t’avait dit tantôt Andrée. »

« — J’aurais cru plutôt que tu avais été couchée comme cela près d’elle. »

« — Mais non, jamais, dit-elle. » Seulement avant de me répondre cela, elle avait un instant caché sa figure dans ses mains.

Ses silences n’étaient donc que des voiles, ses tendresses de surface ne faisaient donc que retenir au fond mille souvenirs qui m’eussent déchiré, sa vie était donc pleine de ces faits dont le récit moqueur, la rieuse chronique constituent nos bavardages quotidiens au sujet des autres, des indifférents, mais qui, tant qu’un être reste fourvoyé dans notre cœur, nous semblent un éclaircissement si précieux de sa vie que pour connaître ce monde sous-jacent nous donnerions volontiers la nôtre. Alors son sommeil m’apparaissait comme un monde merveilleux et magique où par instant s’élève du fond de l’élément à peine translucide l’aveu d’un secret qu’on ne comprendra pas. Mais d’ordinaire quand Albertine dormait, elle semblait avoir retrouvé son innocence. Dans l’attitude que je lui avais donnée, mais que dans son sommeil elle avait vite fait sienne, elle avait l’air de se confier à moi ! Sa figure avait perdu toute expression de ruse ou de vulgarité et entre elle et moi, vers qui elle levait son bras, sur qui elle reposait sa main, il semblait y avoir un abandon entier, un indissoluble attachement. Son sommeil d’ailleurs ne la séparait pas de moi et laissait subsister en elle la notion de notre tendresse ; il avait plutôt pour effet d’abolir le reste, je l’embrassais, je lui disais que j’allais faire quelques pas