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précaution inutile

besoin de sincérité, ni même d’adresse, dans le mensonge pour être aimée. J’appelle ici amour une torture réciproque. Je ne trouvais nullement répréhensible ce soir de lui parler comme ma grand’mère si parfaite l’avait fait avec moi, ni pour lui avoir dit que je l’accompagnerais chez les Verdurin, d’avoir adopté la façon brusque de mon père qui ne nous signifiait jamais une décision que de la façon qui pouvait nous causer le maximum d’une agitation en disproportion, à ce degré, avec cette décision elle-même. De sorte qu’il avait beau jeu à nous trouver absurdes de montrer pour si peu de chose une telle désolation qui en effet répondait à la commotion qu’il nous avait donnée. Comme, de même que la sagesse inflexible de ma grand’mère, — ces velléités arbitraires de mon père étaient venues chez moi compléter la nature sensible à laquelle elles étaient restées si longtemps extérieures, et que, pendant toute mon enfance, elles avaient fait tant souffrir, cette nature sensible les renseignait fort exactement sur les points qu’elles devaient viser efficacement : il n’y a pas de meilleur indicateur qu’un ancien voleur, ou qu’un sujet de la nation qu’on combat. Dans certaines familles menteuses, un frère venu voir son frère sans raison apparente et lui demandant dans une incidente, sur le pas de la porte, en s’en allant, un renseignement qu’il n’a même pas l’air d’écouter, signifie par cela même à son frère que ce renseignement était le but de sa visite, car le frère connaît bien ces airs détachés, ces mots dits comme entre parenthèses à la dernière seconde, les ayant souvent employés lui-même. Or, il y a aussi des familles pathologiques, des sensibilités apparentées, des tempéraments fraternels, initiés à cette tacite langue qui fait qu’en famille on se comprend sans se parler. Aussi, qui donc peut plus qu’un nerveux être énervant ? Et puis, il y