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LE POTEAU DU SUPPLICE

— Ces dames ne viennent donc que pour M. le marquis de Beauregard ?

— Sans doute. Il parait que cela va être fort curieux.

La voix se tut. Il y eut un silence. Je compris que c’était le moment de voir, à tout prix. J’écrasai les orteils de quelques voisins, et voici ce que j’aperçus, mon Dieu !

Trois hommes, qui me parurent être des premiers de la tribu, étaient assis derrière un tertre sur lequel on avait jeté un tapis vert. Ils avaient dissimulé leur nudité, si j’ose m’exprimer ainsi, sous des vêtements naturels et un peu primitifs de feuilles de chêne. Ils étaient d’un âge mûr et avaient la gravité des juges. Celui qui était placé au milieu nous montrait, quand il se baissait, une tonsure assez large qui lui prenait tout le derrière de la tête et qu’il essayait de cacher vainement sous une mèche encore touffue, ramenée vers le front avec un certain art. Ses yeux étaient vifs, ses traits spirituels, sa bouche amère et son air noble. Quoique assis, on le jugeait d’une stature au-dessus de la moyenne. Il avait dû être fort bel homme, et ses manières dénotaient une certaine condition. Aussi marquai-je quelque stupéfaction quand ma voisine, qui était au courant, me dit avec un sourire qui me donna le frisson :

— Monsieur, c’est le bourreau Costa et ses aides, MM. Boissier et Thureau-Dangin.

— Où est le patient ? fis-je en rougissant.

— Là-bas, monsieur, au poteau de supplice.