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SUR MON CHEMIN

que dans son chapeau de paille. Qu’il pleuve ou vente, quelle que soit la saison, dès qu’il a franchi les portes de son théâtre, il se coiffe d’un abominable chapeau de paille qui le ferait prendre, si l’on ne connaissait sa manie, pour le dernier des machinistes de sa maison. Aux répétitions privées, à la répétition générale, à la première, il ne le quitte d’un instant. Devant les dames, il se renfonce jusqu’aux oreilles. Saluer, pour lui, équivaut à « un four ». Cette coiffure est son palladium. On s’en est beaucoup gaussé ; mais les gens de théâtre ne voient volontiers que le chapeau de paille qui est sur la tête du voisin pour oublier qu’ils s’estimeraient perdus s’ils donnaient la main « en croix ». Il faut, pour cette opération, être quatre personnages que le hasard rassemble et que la considération, l’amitié ou l’intérêt pousse à se faire de soudaines manifestations de politesse manuelle.

Il n’y a pas que les actions qui portent malheur ; il y a encore les objets. C’est ainsi que les plumes du paon sont particulièrement redoutées. Au dîner de centième du Premier Mari de France, que Valabrègue donna au « palmarium » du Jardin d’acclimatation, on servit au dessert un paon en foie gras qui avait été garni de véritables plumes. Immédiatement, toute gaieté s’éteignit, et les trois quarts des convives se levèrent en se faisant des cornes au front avec leurs doigts. Il paraît qu’il n’y a rien de tel que ce geste pour conjurer le mauvais sort. Pourquoi cette terreur de la