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SUR MON CHEMIN

Félix Faure et lui purent difficilement, à un moment donné, s’avancer de front. Il me frôla de son coude, et, quand il fut passé, je conservai en moi, pour toujours, le souvenir de son regard troublé. J’y avais lu la terreur de l’attentat, terreur subite, rapide comme un éclair, vite éteinte, de par la victoire de la volonté.

Nul événement sérieux ne vint troubler ces jours de fête. Combien eût été déplorable la folie de quelque énergumène ! J’en pus juger cette nuit où le bruit courut qu’une bombe avait éclaté sur le passage du tsar, revenant du Théâtre-Français et traversant la place de la Concorde.

Ce fut moins que rien : quelques clous qui blessèrent la statue de la ville de Lyon. Et encore nous n’en parlâmes point pour ne pas surexciter l’opinion publique. Il n’empêche que, cette nuit-là, nous crûmes, un instant, l’attentat sérieux. Avec un ami, je me rendis au ministère de l’intérieur. Les grilles étaient fermées. Il fallut parlementer avec le petit pioupiou qui, baïonnette au canon, veillait dans la guérite. Nous lui apprîmes l’histoire de la bombe. Alors, appuyé à son fusil, simplement, le petit pioupiou se prit à pleurer.

Le tsar était en toute sécurité parmi nous, plus peut-être qu’à Saint-Pétersbourg, qu’à Péterhof, qu’à Krasnoïé-Sélo, où je le vis, le regard tranquille cette fois, entouré de cette moitié de la Russie qui surveille l’autre.