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SUR MON CHEMIN

temps ceux qui, surgis de l’ombre anarchiste, s’étaient appelés leurs vengeurs.

Rappelez-vous le nouveau président suivant à pied, par les rues, le cercueil de Carnot et avec quelle respectueuse admiration la foule considérait cet acte héroïque.

Ainsi parlait-on alors. On était si bien persuadé d’un désastre possible que le moindre incident survenu au passage du cortège prenait des proportions extravagantes, provoquant des remous. Il y eut une alerte à l’entrée de la rue de Rivoli : le vase de fleurs surmontant un pilier du jardin des Tuileries tomba avec tracas, brisant des jambes, tuant une jeune fille. Le trouble se mit dans les rangs des corporations qui défilaient. Des porteurs abandonnaient une couronne. Ce fut une brève déroute.

Ce qui fit M. Casimir-Perier vraiment grand ce jour-là, c’est qu’il crut, lui aussi, au danger. C’était visible à son regard calme et affermi, sans doute, mais interrogateur des figures trop proches. Je fus plusieurs fois près de lui, comme tant d’autres, en cette journée historique, si près que j’eusse pu le toucher. À l’Élysée le matin, au Panthéon l’après-midi. J’étais en habit ; on m’avait laissé passer sans me demander ma carte. Et je songeai à l’incroyable facilité avec laquelle on pouvait venir jusqu’à cet homme que l’on disait si bien gardé. Il suffisait d’un frac pour cela. De temps en temps, le regard du président nous fixait, faisait le tour de nos physionomies,