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MÉSAVENTURES D’UN PAQUEBOT

et attendant sa proie. Dans les campagnes nos sirènes prolongeaient des notes sinistres. Elles hurlaient un coup pour que l’on tirât droit, trois coups pour que l’on tirât à droite et deux coups à gauche. Elles se lamentaient longtemps pour appeler le remorqueur d’arrière à notre secours quand nous étions échoués. Alors, on le voyait arriver, un joyeux panache à sa cheminée et sautillant de bâbord à tribord.

À six heures et demie, l’échouage fut plus grave, et il fallut télégraphier à l’extrémité occidentale du canal, à Brunsbuttel, pour faire élever le niveau des eaux. Il s’éleva, entre sept heures et huit heures, de 80 centimètres. Encore sauvés !

Dans la nuit, nous échouâmes trois fois. On dut mouiller à trois heures du matin. Le commandant, excédé du mauvais vouloir des pilotes et de leur bêtise, contre lesquels il luttait depuis tant d’heures, nous évitant des échouages plus nombreux encore, et des avaries graves, prit une grande résolution.

Il fit venir les pilotes et leur déclara que, si dès l’aurore ils ne lui obéissaient pas en tout et pour tout, il « mettrait bas les feux ». C’était l’extinction des foyers, c’était… l’hivernage dans le canal de Kiel, que nous obstruions depuis trop longtemps déjà. Ils prirent peur et promirent d’obéir. Nous n’avions pas fait la moitié du chemin.

Ils tinrent leur promesse, et l’on n’échoua plus que trois fois, quantité normale dans un canal