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SUR MON CHEMIN

Là-bas, là-bas, deux grands navires ont mis des feux à leurs vergues. Ils vont à ces feux comme à un phare, mais la tempête qui les agite semble reculer le but où ils tendent. Ils passent le pont Nicolas, ils arrivent à des pontons où des moujiks, étendus, dorment sous l’eau qui tombe. Ils se trompent de ponton et se retrouvent. Russes et Français s’embrassent encore. Les derniers vivats montent dans la nuit. Les Russes s’en vont. Les matelots se jettent dans les chaloupes, et celles-ci ont des oscillations terribles. Elles glissent vers la masse noire du Surcouf, aux vergues illuminées. Ces lumières ont de brefs reflets sur l’eau de plomb. À l’avant d’une chaloupe, un matelot s’est dressé, a levé les bras au ciel, sans étoiles, a crié : « Vive la Russie ! Vive la Russie ! » Et il chancelle : une chute dans le gouffre, le court clapotis des vagues, des mots criés de chaloupe en chaloupe, les embarcations qui tournent sur elles-mêmes, qui vont à la dérive, et l’appel d’un nom jeté à la Néva. Mais le fleuve n’a point répondu.