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LE CHÂTEAU NOIR

intendant m’a dit de me mettre à votre entière disposition. Vous n’avez rien à craindre. Son Excellence Kara Selim est dans ses bons jours. Il est amoureux. Il se marie et il y en aura des fêtes ici ! Il a invité tous les hobereaux de la contrée, comme on dit chez vous, et des voyageurs comme vous, en une pareille circonstance, ne manqueront pas d’être les bienvenus.

— Est-ce qu’ils sont toujours les bienvenus, les voyageurs ? interrogea La Candeur avec un coup d’œil à Rouletabille qui voulait faire entendre bien des choses.

— Toujours, monsieur, répliqua l’autre avec un drôle de sourire. Mais, je vous en prie, si vous voulez me suivre, je vais vous montrer vos chambres.

— Elles sont loin, ces chambres ?

— Non, monsieur, je vais vous y conduire, c’est à l’hôtel des Étrangers.

— À l’hôtel des Étrangers ?

— Oui, c’est ainsi que nous appelons le donjon. Oh ! vous serez là comme chez vous. Venez ! »

Et il fit signe à toute la caravane de le suivre.

Ils traversèrent, toujours sous la pluie, une immense « baille » qui était pleine de soldats de Gaulow, c’est-à-dire de brigands fort joyeux, dont la plupart avaient le type pomak, qui riaient, jouaient et buvaient sous des tentes qu’ils avaient dressées dans cette cour, comme en plein bled. D’autres s’étaient réfugiés sous les auvents, sous les baraquements qui se dressaient au pied des courtines reliant les tours entre elles. Des feux étaient allumés çà et là, autour desquels gesticulaient des silhouettes de démons. Il y avait une dispute au couteau dans un coin. Toute cette partie du château était réservée à la plus basse soldatesque, si l’on peut même ainsi s’exprimer en parlant d’une pareille troupe.

« Si monsieur veut s’abriter sous mon parapluie ! »

Car ce majordome avait un énorme parapluie rouge, comme en ont les portiers d’hôtel pour aller quérir par mauvais temps les voyageurs à leur descente de voiture. Bien qu’il fût habitué depuis qu’il avait franchi les « por-