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LE CHÂTEAU NOIR

faudrait pas prendre notre maison pour une gargote… L’hospitalité de Kara pacha est célèbre à la ronde et je suis chargé d’annoncer à ces messieurs que notre illustre maître se fait une vraie joie de les recevoir !

— En vérité, il nous attendait ?…

— Vous avez été annoncés par notre intendant qui vous a, paraît-il, aperçus de loin sur nos terres…

— Où avez-vous donc servi, mon garçon ?…

— Au café Hongrois, à Budapest.

— Au café Hongrois ? Moi aussi, s’écria Modeste. Encore un café qui ferme à trois heures du matin !

— Et comment êtes-vous là ? demanda Rouletabille.

— Ce fut un soir que Kara Selim, qui était venu au café Hongrois, m’entendit parler plusieurs langues. Le digne seigneur avait besoin d’un interprète. Il me proposa aussitôt des conditions telles que j’acceptai de le suivre jusque chez lui comme drogman. La place n’est pas mauvaise… je ne me plains pas… En plus des pourboires… j’ai aussi ma part sur les bénéfices. Si ces messieurs veulent me suivre… »

Nos voyageurs regardaient, un peu ébahis, ce garçon vêtu d’une longue capote toute galonnée d’or, comme on en voit aux serviteurs des palaces, et qui racontait si tranquillement son « boniment » devant une demi-douzaine de gens à figure plutôt rébarbative qui étaient assis sur les bancs de pierre de ce singulier vestibule dont le plafond en forme de voûte réunissait les deux tours d’entrée entre lesquelles se trouvait la poterne. Ces soldats de fortune, un peu débraillés, et du reste armés jusqu’aux dents, jouaient entre eux en buvant du raki. Ils jouaient aux dés et Vladimir appréciait les coups.

« Vous faites bon ménage avec ces gens-là ? demanda Rouletabille au majordome.

— Oh ! monsieur, ils ne sont pas méchants et ils ont tout ce qu’il leur faut. Vous pouvez parler tout haut, ils ne comprennent pas le français. Moi, je suis d’origine polonaise et je m’appelle Priski, pour vous servir. Notre