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côtés par de prodigieuses falaises, dont les cimes allaient se perdre dans d’affreux nuages noirs traversés du glaive brisé de la foudre, qu’il semblait que jamais la nature, en cet horrible endroit, ne devait s’apaiser et que les éléments en furie avaient été enfermés là pour éternellement bouillonner, combattre et rugir !

Des traînées de brouillard flottaient dans l’air comme des oiseaux monstrueux. Le vent tout puissant aboyait avec ses mille voix de chiens et aussitôt la redoutable armada des nuées informes se précipita au-devant des voyageurs.

« En avant ! hurla Rouletabille en faisant claquer son fouet au-dessus de la tête des muletiers.

— En avant ! » répéta Athanase,

Et les audacieux sentirent aussitôt sur leur nuque les coups de poing de l’ouragan, de l’ouragan qui plongeait dans la neige, la fouillait et la dispersait ! Les chevaux baissaient la tête et s’ébrouaient. D’immenses tourbillons entouraient la caravane. La Candeur se lamenta lugubrement, Vladimir éclata d’un rire insensé et insultant pour Dieu ou le Diable qui avait pris soin de cette infernale tourmente. Le temps et l’espace semblaient avoir cessé d’exister. Nos voyageurs avancent-ils ? Restent-ils en place ? Fait-il nuit ? Fait-il jour ? Et cette ombre formidable, là-bas, apparue tout à coup avec ses créneaux, ses mâchicoulis, ses échauguettes, son donjon et ses tours… cette ombre terrible accourt-elle vers eux ou glissent-ils vers elle ?…

Non ! Non ! ceci n’est pas un rêve, un cauchemar, ceci n’a rien d’une hallucination… ceci existe. « Le Château Noir » est bien accroupi sur ce roc d’enfer, suspendu comme une menace au-dessus de cet abîme… Le Château Noir existe. Il a une place sur la terre et sur la carte et cependant il est plus terrible à voir que tous les horribles châteaux dessinés par la folie ou le génie de l’homme ou par l’imagination extravagante et maladive des poètes !

Quel architecte d’Occident, venu jadis avec les Croisés,