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LE CHÂTEAU NOIR

Le général Vilitchkov était parent, par sa femme, de Khetew. Il fit venir l’enfant et le fit élever. C’est dire qu’Athanase, qui avait déjà toutes ses haines personnelles, prit, par surcroît, à sa charge, et hautement, celles de la famille Vilitchkov. Ivana l’avait dépeint comme un excellent garçon « quand on le connaissait », un peu sombre, brute et sournois d’apparence, mais brave au-dessus de tout… « Pour moi, il a toujours été parfait, disait-elle. Athanase avait huit ans quand je suis née. Il m’a protégée, aimée comme un frère. »

Rouletabille répéta :

« Athanase Khetew ! »

L’autre fixait toujours la terre de ses yeux sans regard. L’entendait-il ? En tout cas, il ne le reconnaissait point.

Or, Rouletabille était pressé. Il insista.

« Monsieur, dit le reporter, il faut reprendre vos sens. Je sais quelle perte vous avez faite dans la personne du général, mais nous ne devons pas rester une minute de plus ici si nous voulons garder quelque espoir de retrouver sa nièce. »

Ces paroles semblèrent produire l’effet attendu. Athanase leva les yeux sur le reporter.

« Vous ne me reconnaissez pas ? La nièce du général m’a présenté à vous, à Paris… Joseph Rouletabille…

— Oui, fit l’autre, comme sortant d’un rêve… je me rappelle…

— Eh bien, en route !… »

Brusquement Athanase revint à la réalité des choses et aux nécessités de l’heure.

« Oui, en route ! s’écria-t-il en courant à sa machine… En route !… Ont-ils beaucoup d’avance ?

— Une demi-heure, trois quarts d’heure au plus.

— Ah ! s’écria Athanase, nous les rattraperons si Dieu le veut ! »

Et il mit son moteur en marche, d’un geste qui eût pu tout briser. Puis il sauta dans la voiture. Le reporter était déjà à sa place à côté d’Athanase, qui conduisait