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ATHANASE KHETEW

« Fait divers, fait divers ! » avait déjà dit le général à ses officiers d’ordonnance.

L’homme qui était descendu de l’auto était resté contre la grille, comme assommé par les paroles de Stanislawof.

Sa figure n’était point médiocre.

C’était un rude personnage : jeune, dans les trente ans, maigre, musculeux, la poitrine creuse, les mains puissantes. Les traits de son visage étaient accusés, le nez bossu, les cheveux dressés, d’une nuance bleu noir ; un front de moyenne élévation, des yeux petits, enfoncés ; en ce moment, son regard semblait mort sous les sourcils touffus. Ses lèvres étaient minces, dures et trop nettement dessinées. Il était habillé d’un vêtement civil boutonné jusqu’au col.

Rouletabille lui prit la main en l’appelant par son nom.

Le reporter reconnaissait cet homme. Ivana le lui avait présenté à Paris, à l’hôpital de la Pitié. Il avait passé, là-bas, en France, quelques jours seulement, ne semblant y être venu que pour annoncer à Ivana la mort de sa sœur. Et Rouletabille se rappelait ce qu’Ivana avait dit de ce parent, après son départ… des choses très bulgares : qu’il avait été élevé par les soins du général Vilitchkov, car ses parents étaient morts tragiquement, comme tant d’autres. Son père était un riche négociant que ses affaires avaient retenu en Thrace, aux environs d’Andrinople. Quelques années après la naissance d’Athanase, sa mère avait disparu, on ne sut jamais comment. Un mois plus tard, on l’avait retrouvée près de Kadikeuei, la gorge coupée. Le bruit avait couru que c’était un agha turc qui l’avait enlevée et assassinée. Son mari, le père d’Athanase, voulut se venger, mais il n’était arrivé qu’à blesser l’agha à coups de poignard. Il dut s’enfuir, abandonner sa maison et son fils ; mais agité d’une haine mortelle contre le Turc, il était resté cependant en Thrace, s’efforçant de soulever l’élément bulgare. Trahi, il avait été surpris dans le Balkan et fusillé.