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LE CHÂTEAU NOIR

mère, avait négligé ou oublié de refermer à clef le coffret. Nous avions quitté la pièce précipitamment. Le berger Vélio était venu nous rechercher d’une façon impérative de la part du général ! »

Ils ne se parlèrent plus jusqu’à l’hôtel Vilitchkov.

La ville était encore endormie, derrière ses volets clos. Depuis quelque temps, le ciel s’était assombri, et une pluie très fine, mais assez dense, tombait.

Comme les officiers poussaient déjà la grille et ne pouvaient retenir de sourdes exclamations à la vue des cadavres des deux sentinelles étendues à l’entrée du petit parc, le général leur montra le reporter qui s’était jeté à quatre pattes, devant lui, et examinait attentivement les pavés de la rue. Rouletabille glissait d’un pavé à un autre, avec de véritables gémissements d’angoisse ou encore avec de vrais grognements de chien reniflant une piste ; et tout à coup il se releva, la figure grimaçante d’inquiétude et d’effroi, les yeux hors de la tête.

« Général ! ils sont revenus ! Les bandits étaient arrivés en auto ! Partis et revenus et repartis !… Il n’y a pas une demi-heure qu’il pleut, ils sont revenus pendant qu’il pleuvait !… Ah ! Ivana ! Ivana ! Ivana !… »

Il avait bondi dans le parc ; il courait comme un insensé…

« Cette fois, ils me l’ont tuée !… »

Le général pénétra derrière lui, dans l’hôtel. Stanislawof reconnut le cadavre de l’officier d’ordonnance et dut, plus loin, repousser du pied le corps du berger. Dix, vingt cadavres auraient pu se trouver là, certes ; il les eût considérés avec la même indifférence.

Il ne pensait qu’au coffret, et, pour le ravoir, il eût donné bien des choses et ruiné la caisse publique. Il souleva le corps mutilé du général Vilitchkov, s’assura que son vieux compagnon était bien mort, et l’embrassa avant de s’en aller :

« Si Ivana n’est pas morte, dit-il au cadavre, elle sera ma fille ! »