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NUIT D’ORIENT

Extraordinaire ! Extraordinaire ! Le général ne se plaint pas… non, ce ne sont point des plaintes qui sortent de ses lèvres vides de sang… ce sont des mots, toujours les mêmes, toujours les mêmes qui sont un avertissement — Rouletabille comprend cela — oui, un avertissement voudrait se faire comprendre… comme l’annonce d’un grand malheur que le général voudrait faire connaître avant de mourir…

Singulière position occupée par le général ; Vilitchkov est étendu, tout de son long, sur le plancher, mais ses bras et ses mains aux doigts pendants, sanguinolents, entourent éperdument, éperdument, le petit fauteuil de bois en X, ce qu’on appelle en Occident un fauteuil à la Dagobert, le petit fauteuil-tabouret, sur lequel était, ce soir encore, le coffret aux peintures byzantines, clouté de cuivre, le petit meuble aux reliques et aux bijoux… et à la robe, souvenirs de l’assassinat de Stamboulov-Vilitchkov, mais le coffret, lui, a disparu.

La plainte du général doit dire, expliquer des choses inouïes, car Ivana, sur les coudes et sur les genoux, à travers un ruisseau de sang, s’est traînée jusqu’à son oncle, jusqu’à Rouletabille et prononce, à son tour, des syllabes insensées, en regardant le général avec un regard plus épouvanté encore — si possible — que celui qu’elle a montré à Rouletabille quand le jeune homme l’a rencontrée, poursuivie par la mort… Et toujours, le général serre, serre de ses bras défaillants, mutilés, le petit fauteuil à la Dagobert.

En vain, Rouletabille prononce-t-il des mots français… de telle sorte que le général se souvienne, veuille bien se souvenir qu’il sait aussi, lui, le général, parler français, mais Vilitchkov semble ne vouloir parler que pour sa nièce Ivana qui laisse retomber tout à coup la tête de son oncle et se redresse comme si elle était pleine d’une vie et d’une force nouvelles.

La plainte du général ne s’est pas tue, mais une autre plainte est venue doubler la sienne… Un autre désespéré