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LE CHÂTEAU NOIR

« Prenez garde ; il y a deux marches à descendre ! »

Ah ! la porte est poussée ; ils sont dans la chambre des reliques, avec la voix si lugubre qui appelle.

« Mon oncle, s’écria Ivana, mon oncle nous voilà ! C’est nous ! Ils sont partis ! Nous sommes sauvés !… »

Elle glisse des bras de Rouletabille. Elle veut faire un pas, mais elle chancelle, elle tombe avec un gémissement si faible, à faire grande pitié, en vérité.

Et la voix, au fond de l’ombre, de la nuit de cette chambre, pas cessé son lugubre, épouvantable, mourant appel.

Rouletabille est allé à une fenêtre, a tiré un rideau.

Et l’aurore fait encore son apparition par là ! Il ne reconnaît plus cette chambre saccagée. Les mains coupées ne sont plus là ! Oui, même ces mains d’assassiné. Gaulow les a emportées. Elles lui appartiennent, elles font partie du butin de sa vengeance, Quelles ruines de toutes choses dans cette pièce ! Les murs ont été dépouillés de leurs tableaux, de leurs icones, de leurs belles images, dont quelques-unes ont été arrachées des cadres et taillées en pièces, avec acharnement.

Et, au milieu de tout cela, le corps du général Vilitchkov n’est plus qu’une écumoire, ma parole ! tant il est troué, percé de coups, une écumoire dont tous les trous laisseraient passer des ruisselets de sang. Comment, ayant été pareillement troué, le général vit-il encore ? Ses doigts pendent au bout de ses moignons !

Comme ces gens d’Orient aiment à couper les doigts ! Oui, c’est leur affaire. Ils veulent bien tuer, mais ils n’oublient pas de mutiler. C’est à cela que l’on reconnaît les véritables assassins d’Orient[1].

Rouletabille a soulevé la tête du général dont les yeux le fixent si étrangement, si étrangement, cependant que sa bouche ne cesse pas son appel lugubre.

  1. Depuis, certains assassins d’Occident les ont assez bien imités.