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DU SANG !… DU SANG !…

Rouletabille regarda ce joueur-là, qui était un colonel serbe, et il le reconnut :

« Mais c’est Stoian Mikaïlovitch ! souffla-t-il, celui qui a assassiné la reine…

— Lui-même, petit ami. Oui, on a dit qu’il était de l’assassinat de la reine Draga…

— Bonsoir, Ivana, dit le colonel, en rangeant ses cartes. Vous êtes belle, cette nuit, comme une petite lionne.

— Il a raison ! approuva Rouletabille. Votre coquetterie a, ce soir, une nuance de cruauté. Cet homme vous plaît ?

— Beaucoup !

— Moi, je ne puis le regarder sans frissonner. En passant à Belgrade, j’ai vu le placard du Konak dans lequel lui et sa horde ont assassiné ce pauvre petit roi et la malheureuse reine Draga… »

Elle le regarda étrangement. Elle dit :

« C’était un pauvre petit roi qui avait vendu son pays à l’Autriche ! Ils auraient dû le remercier, peut-être ! Ils n’ont fait que leur devoir ! Croyez-vous que si notre roi ne faisait pas le sien…

— On le dit très bien avec l’Allemagne, murmura Rouletabille. Guillaume est l’ami des Turcs, méfiez-vous !… »

Elle haussa les épaules et s’éloigna de lui, brusquement, avec hostilité. Elle se promena encore, un peu énervée, parmi les groupes, puis disparut sans même lui dire adieu.

Il sortit, descendit, fut dans la rue, la tête en feu et le cœur en révolte contre Ivana Ivanovna, à cause qu’elle approuvait l’assassinat d’Alexandre et de Draga ; décidément Rouletabille était un sentimental et un piètre politique !…

Et puis ! il aurait dû se méfier de ces amours slaves ! Il aurait dû mater son cœur depuis bien des jours… Il en avait connu de ces jeunes filles, en son temps de Russie, que l’on croit douces et tendres comme des agnelles et qui sacrifient tout à une idée, et qui ont des cœurs de