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LE CHÂTEAU NOIR

mants et rubis, des bracelets d’un travail merveilleux. Il y avait là une fortune sous ces oripeaux sanglants…

« Les bijoux de ma mère… »

Elle les laissa retomber et resta là à les contempler, les mains coquettement appuyées sur les hanches. Mais le berger Vélio, aux longs cheveux blancs sous son kalpack et à la moustache pendante, est revenu. Et elle se retourne vers lui. Rouletabille fut bouleversé, car elle avait les yeux pleins de larmes. Dans le moment qu’il la croyait de marbre, elle pleurait. Décidément, elle était ainsi dans son pays, tantôt en pierre, tantôt fondant sous les plus tendres sentiments ou encore hirsute et farouche comme un coq de bataille.

À Paris, elle était toujours tranquille et claire. Mais la vieille maison l’avait reprise entre ses murs sanglants. C’était bien naturel. Elle parut avoir une dispute avec son berger et elle fit signe à Rouletabille qu’ils devaient quitter la chambre. Ils retrouvèrent les salles aux parquets cirés et fléchissants. Ivana revint à son récit.

« J’aurais pu, dit-elle, mourir sur le coup ; mais l’horreur et la terreur me donnèrent une agilité inouïe, et je parvins à glisser entre les doigts de mes assassins pour m’en venir tomber dans la troupe des amis de mon père qui rapportaient son cadavre. Quand ils pénétrèrent dans la chambre, il n’y avait plus que les corps déchiquetés de maman et de la gniagnia. Ma petite sœur avait disparu. Au dernier moment, au lieu de la tuer, Gaulow s’était ravisé et l’avait emportée avec lui. Irène était très jolie. Nous sûmes plus tard qu’il l’avait vendue un bon prix à un marchand d’esclaves de Trébizonde.

— Mais tout cela est épouvantable ! s’écria Rouletabille. Que de crimes ! et pourquoi ? et pourquoi ?…

— Ah ! pourquoi ? fit-elle avec tranquillité, pourquoi ? Vous êtes extraordinaire. C’est la politique, mon cher !

— Je déclare sans atout ! » disait un des joueurs de bridge dans les moments que les deux jeunes gens rentraient dans le salon.