Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 1.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
DU SANG !… DU SANG !…

Le 15 juillet 1895, il sortait vers huit heures de l’Union Club, avec Petkof et mon père, montait dans sa voiture pour rentrer à la maison, quand les assassins se jetèrent sur Stamboulov et sur mon père et les accablèrent de coups de poignard et de revolver, sans que les gendarmes intervinssent. Oh ! un coup bien préparé ! Les malheureux furent taillés en pièces. Rien qu’à la tête, mon père avait quinze blessures. Ses bras étaient horriblement déchiquetés, les mains ne tenaient plus que par un lambeau de chair. Pendant cette tragédie, ma petite sœur et moi, à la maison, félicitions maman de sa beauté et de sa belle robe que voilà ! Tout à coup, une grosse voix se fait entendre dans la chambre à côté ; et puis des pas précipités, et puis la bousculade des meubles. La porte s’ouvre : ma mère pousse un cri déchirant : « Gaulow ! » Oui, c’était Gaulow avec un sabre nu à la main. Celui-là, d’où sortait-il ? De l’enfer ? On le croyait mort. Mon père avait même montré à ma mère le rapport des agents parce que, de celui-là, elle avait la terreur. C’était le fils naturel et adoré d’un compagnon de Panitza. Il avait juré publiquement de nous détruire tous, le soir de l’exécution de Panitza et de son père. Au bruit, épouvantée, nous, les petites, nous avions couru derrière le fauteuil. Ma mère, pour nous protéger, se jette devant nous, à genoux, les mains jointes, suppliant Gaulow. Gaulow lui passe son sabre au travers du corps et comme de ses mains gantées, elle s’était accrochée à Gaulow, Stefo le Dalmate, l’âme damnée de Gaulow, les lui hachait à coups de poignard. Ils étaient venus quatre pour le massacre. Les deux autres, après avoir tué la gniagnia, étaient déjà sur nous, attirés par nos cris. Mais Gaulow qui s’était acharné après ma mère, nous réclama comme sa proie : « À moi, les enfants, à moi ! » et il arracha un kandjar des mains de l’un de ses acolytes pour m’en frapper… »

Disant ces choses, Ivana était revenue au coffret d’où elle sortit encore des bijoux anciens d’une grande valeur, d’admirables colliers de perles, une croix grecque en dia-