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« JE T’AIME »

mes fantaisies, et, entre autres, je lui disais que je voulais d’abord qu’il me rendit tous les bijoux de ma mère, auxquels je tenais par-dessus tout, et ce coffret byzantin qu’il avait emporté et qui renfermait des souvenirs précieux… Tout, il m’accorda tout… il me promit tout… pour après !… Il ne m’accorde rien avant ! Vous comprenez, petit père ?… Qui de nous jouait l’autre ?… Qui de nous se moque de l’autre ?… Un soir, à bord d’un navire à lui qui était venu nous chercher au rivage de cette mer Noire qu’il traite comme si elle lui appartenait, le Pacha noir embarqua devant moi le fruit de ses rapines et je vis passer le coffret… le coffret byzantin… Je fis aussitôt un mouvement pour m’en approcher… il s’en aperçut.

« — Ah ! le coffret, fit-il avec un étrange sourire… Vous l’avez reconnu… Ce sera pour le soir de nos noces !… »

« Et je n’osai insister pour ne point donner l’éveil… Et peut-être déjà n’y a-t-il plus rien dedans… Peut-être que les plans sont déjà à Andrinople… Et demain soir… demain soir !… Ah ! comme il rira ! »

Rouletabille la prit par les cheveux, releva à la poignée cette belle tête au pâle désespoir, et tel un soldat vainqueur qui contemple son trophée, il approcha de son jeune et ardent visage cette face sur laquelle semblaient se répandre déjà les ombres de la mort.

« Non ! fit-il, il ne rira pas !… »

Puis, après l’avoir baisée aux lèvres, il laissa rouler la tête d’Ivana comme si le bourreau de Kara pacha l’avait détachée de ce corps aimé et il prononça ces mots, en se dirigeant vers son chemin aérien :

« Au revoir, Ivana Ivanovna !

— Mon ami, mon ami ! que vas-tu faire ? »

C’était elle maintenant qui courait après lui, qui se traînait derrière ses pas. Mais il ne se retournait même point.

Elle lui jeta ses bras autour du cou.

« Tu sais bien que je t’aime !…