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LE CHÂTEAU NOIR

— Ma petite sœur Irène et moi avons touché souvent l’œil malade de la Sophie à la cataracte et nous n’avons jamais vu apparaître de tiroir secret !… »

Ces mots singuliers et enfantins de tiroir secret, de cataracte et de Sophie, revenaient avec un acharnement bizarre sur leurs lèvres frémissantes ; et ils se les renvoyaient avec colère, comme s’ils s’en voulaient mortellement de se battre autour de syllabes aussi ridicules dans un moment où se jouait leur destin.

« Ah ! si je l’avais entre les mains, ce coffret de malheur, répétait Rouletabille en rage, je vous jure bien que je pourrais l’ouvrir !

— Demain soir ! émit la voix sèche d’Ivana, il sera à moi ; je briserai la Sophie à la cataracte et elle n’aura plus rien à nous cacher !… Nous saurons si elle a été la gardienne fidèle des papiers de mon oncle ou si elle nous a trahis !…

— Demain soir ! demain soir ! encore demain soir !… Demain soir, vous serez Ivana Hanoum !… »

Ivana se retourna vers lui en lui montrant ses dents de jeune louve :

« Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? gronda-t-elle. Avant d’en arriver là, j’ai tout fait pour approcher du coffret… j’ai usé de ruse… j’ai imaginé des caprices d’enfant !… j’ai joué de l’amour !… oui, je suis allée jusqu’à simuler de l’amour pour cet assassin des miens !… Et cela a pris !… Il a trouvé cette monstruosité naturelle !… Quand il m’approche, mes membres frémissent et il croit que c’est d’amour… le feu de mon sang me brûle le visage et il croit que c’est d’une abominable et irrésistible joie !…

« Et le plus beau est que je le lui laisse croire !

« Je lui ai promis, au cours de ce voyage, qui avait moins l’air d’être un rapt qu’un voyage de noces, je lui ai promis de ne consentir à être sa femme consentante, sa kadine favorite, que s’il me permettait, lui, de me faire reine de toutes mes volontés et des siennes, et de toutes