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« JE T’AIME »

— Oui « après ? » dit-il d’une voix de plus en plus hostile et en s’écartant d’elle tout à fait, car maintenant il la haïssait comme il lui était arrivé souvent… je vous dis : après ? enfin je vous demande ce que je devrai faire après que j’aurai fait cela et que j’aurai obéi à l’ordre que vous m’aurez ainsi donné, le lendemain de vos noces ?

— Oh ! après… mon ami… il ne faudra plus penser à moi qu’avec un sentiment de grande fierté… si vous m’êtes dévoué vraiment… après il ne faudra pas me plaindre, petit ami, je vous le défends…

— Mon Dieu, madame, je croyais qu’il fallait toujours plaindre les femmes de Gaulow !

— Pas celle-là ! petit ami, pas celle-là… car j’aurai eu un grand bonheur avant de mourir…

— Votre dessein est donc de mourir ?

— Oui, petit ami, mon dessein est de mourir après l’avoir tué ! Vous voyez comme c’est simple !

— Ah ! qu’importe, s’exclama Rouletabille en s’arrachant les cheveux, qu’importe que vous le tuiez, si vous n’en avez pas moins été sa femme ! »

Et il sanglota comme un enfant en se laissant tomber sur un divan bas qu’elle avait glissé près de la fenêtre.

Alors, elle s’assit près de lui et elle le prit sur son cœur ; et elle étouffa ses pleurs sous ses prudentes mains car elle redoutait que la peine de ce jeune homme ne fût entendue des femmes qui étaient chargées de veiller sur elle !

Elle lui dit de douces paroles. Elle voyait qu’il souffrait et elle avait pitié de lui et encore cela faisait souffrir davantage Rouletabille qui eût préféré que sa souffrance fût partagée. Mais les grandes héroïnes ont des poitrines de marbre qui s’échauffent difficilement au vulgaire contact de la douleur humaine… Ah ! Rouletabille était bien malheureux ! C’était si simple de partir ensemble !…

Il lui dit comment il avait imaginé de transformer le donjon en une forteresse dans laquelle ils auraient at-