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LE CHÂTEAU NOIR

Et vous ? implora Rouletabille qui trouvait ce plan insensé, monstrueux !…

« Et vous ? répéta-t-il en enlaçant d’un embrassement puissant cette jeune vie dont il sentait le poids si cher. Et vous ?

— Oh !… moi !… ne vous occupez plus de moi ! Moi, je serai heureuse si j’ai pu rendre service à mes frères !… Zo ! Zo ! vous m’aimez !… lui dit-elle en lui prenant la tête entre ses mains fiévreuses, moi aussi, je vous aime… mais il faut obéir… j’ai besoin de vous… j’ai besoin que vous ne commettiez aucune imprudence… Le lendemain de ses noces, la kadine sortira du château avec le Pacha noir. Elle demandera à visiter le pays de Gaulow. Soyez sur le passage du cortège !…

« Si j’ai un foulard rouge à la main », partez, ne perdez pas une seconde ! Vous avez trouvé le moyen de venir jusqu’à moi, vous trouverez bien le moyen de vous enfuir d’ici ! Il faut que vous réussissiez, ami ! ami ! Faites que l’épouvantable sacrifice auquel je me suis résolue ne soit pas inutile à mon pays… accomplissez des miracles… supprimez les obstacles… franchissez la frontière dans les vingt-quatre heures… courez au général Stanislawof… et dites-lui… dites-lui qu’ils n’ont rien vu, rien découvert !…

— Et si vous n’avez pas le foulard rouge ? demanda Rouletabille d’une voix sombre et en laissant tomber ses bras avec désespoir, car il comprenait que le cœur de cette femme était en ce moment loin du sien et que leur amour comptait pour bien peu, hélas ! dans une tragédie de cette hauteur !

— Si je n’ai pas le foulard rouge, partez encore !… Courez !… Tuez vos chevaux sous vous… soyez plus diligent encore si possible… et dites au général que la trahison est victorieuse, et qu’il invente autre chose avant de déclarer la guerre.

— Et après ?…

— Après ? répéta-t-elle comme dans un rêve.