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LE CHÂTEAU NOIR

vous étiez sujet au vertige ; moi, je ne le crains pas. Si vous le permettez, j’irai attacher votre corde moi-même.

— Ne vous dérangez pas ! je vous en prie ! »

Rouletabille grimpait déjà. Il augurait fort mal de la dernière politesse d’Athanase. L’empressement du Bulgare à vouloir attacher lui-même la corde ne lui disait rien de bon.

S’accrochant aux plombs et aux ardoises, Rouletabille eut bientôt atteint la pointe de la poivrière, mais aussitôt il dut faire un faux mouvement, car, emporté par son poids, il glissa le long de la dangereuse pente et cela avec une effrayante rapidité,

Rien ne pouvait plus le retenir. Rien ne le séparait plus de l’abîme.

Un seul obstacle pouvait encore s’interposer entre le vide et lui, c’était Athanase, Athanase qui avait vu le drame, qui pouvait accourir au secours du jeune homme, mais qui, alors, eût couru le risque d’être précipité avec lui.

Une seconde et c’en était fini de Rouletabille !

Athanase n’hésita pas. Il se jeta au-devant de son rival qui courait à la mort ; et il s’apprêtait à recevoir le choc, lorsqu’il vit, avec une stupéfaction indicible, le reporter s’arrêter brusquement avant qu’il ne l’eût touché, se redresser à demi et lui dire :

« Merci, monsieur Athanase ! Vous êtes un gentil garçon !… »

Puis, sans attendre qu’Athanase fût revenu de son étonnement, Rouletabille enjambait la gouttière et se laissait couler le long de sa corde. dont il avait eu le temps d’attacher le crochet à la pointe de la poivrière et qu’il tenait dans sa main gantée en simulant une glissade destinée à le renseigner sur l’état d’âme d’Athanase.

Celui-ci, comprenant maintenant le jeu du reporter, se mordait les lèvres, admirait cette présence d’esprit, cette imagination, toujours en activité, et enviait Rouletabille d’être au bout de la corde.